Récits de voyage d'hier et d'aujourd'hui


Hans Staden: "Nus, féroces et anthropophages" 1557



     Le titre est déjà tout un programme ! Quel récit que celui de Hans Staden ! Ce mercenaire allemand, né à Homberg en 1525, est resté neuf - longs - mois prisonnier d'une tribu Tupinamba du Brésil pendant l'année 1555. La position de prisonnier n'est déjà pas confortable mais elle l'est d'autant moins quand on sait que ladite tribu pratiquait l'anthropophagie. Il n'y a pas de suspens, on sait que Hans Staden a réussi à s'en sortir puisqu'il nous a laissé ce témoignage, mais son récit est un vrai roman d'aventures. Qui plus est, il est accompagné de gravures qui représentent les grands moments de son épopée, ce qui donne l'impression d'avoir une bande dessinée entre les mains. 

     Parti une première fois, à bord d'un navire portugais, Hans Staden découvre le Brésil. Et déjà cette première expédition n'est pas de tout repos. Après une sévère tempête et un risque de naufrage, le bateau accoste au Pernambouc. Là, Hans Staden se trouve dans un village attaqué par les "sauvages". Quatre-vingt dix chrétiens contre huit mille "Indiens" ! De plus les vivres manquent. Toutefois après un mois de siège, les "naturels" se retirent, ayant eu plusieurs morts par armes à feu (eux-mêmes n'ont que des arcs), voyant qu'ils ne peuvent pas prendre le village. 

     Revenu en Europe, Hans Staden s'embarque à nouveau. Il quitte Séville pour se rendre au Rio de la Plata. Le voyage n'est pas facile et après deux années, le bateau fait naufrage sur l'île de Saint Vincent, proche de Rio de Janeiro. Île habitée par des Portugais alliés à une tribu appelée les Tuppin-Ikins. Les naufragés sont bien accueillis et Hans Staden est engagé pour défendre une petite forteresse car régulièrement des tribus, notamment les Tuppin-Inbas, attaquent les villages chrétiens, .

le naufrage sur l'île Saint Vincent


     
     Hans Staden accepte de rester quatre mois, puis comme ses services sont appréciés, il décide de prolonger son séjour de deux ans. Il n'y a pas grand-monde pour défendre cette forteresse et les périls sont importants. Hans Staden nous dit :" la plupart du temps nous n'étions que trois dans cette maison, avec quelques arquebuses et nous courions de grands dangers de la part des sauvages, la maison n'étant pas très forte."
     Il a avec lui un esclave, grâce à qui, sans doute, il a appris la langue des Tuppi, ce qui lui sera d'une très grande utilité une fois fait prisonnier. C'est en allant chasser dans la forêt que Hans Staden se fait capturer. Plusieurs Portugais tentent en vain de le libérer. Il est trop tard, le soldat allemand est déjà dans un canot. Il est alors emmené vers le village de cette tribu Tuppi-Inbas. Les "Indiens" rament à une vitesse qui le stupéfie.
L'arrivée au village



     Hans Staden s'attend à être tué et dévoré aussitôt, d'autant qu'on lui demande, juste avant d'arriver au village, de crier aux femmes assemblées sur la rive, dans la langue des "naturels": "Voici votre nourriture qui arrive" ! Mais non ! En effet, la coutume, chez les Tuppis guaranis, est de garder le ou les prisonniers pendant des mois voire des années avant d'organiser une grande cérémonie lors de laquelle ils sont exécutés puis cuits et mangés. Certains ont même des enfants avec des femmes du village où ils sont tenus en esclavage. Cependant... les enfants suivent le sort cruel de leur père et sont tués sous ses yeux !

     Les "Indiens" font subir une série d'outrages à leur prisonnier, persuadés qu'il s'agit d'un Portugais et donc d'un de leurs ennemis. Ils le dénudent entièrement, le rouent de coups, l'attachent. Les femmes ne sont pas en reste. Elles se montrent très violentes, le frappent et se mettent à danser autour de lui.

Danses des femmes autour du prisonnier

     Hans Staden prie, pensant sa dernière heure arrivée à de nombreuses reprises. Malgré sa situation, il se fait ethnologue, observant les rites, les parures, la façon de chasser, les habitations, la nourriture... des Tuppis. Il nous raconte tout cela en détail dans son récit. Néanmoins, il espère plus que tout échapper à ces "sauvages". Un premier espoir vient d'un marchand français qui arrive un jour au village Tuppi. Hans Staden lui parle - ce qui est drôle c'est que les deux utilisent la langue tuppi pour communiquer ne comprenant pas la langue de l'autre ! - et lui demande de dire qu'il est Français et non Portugais. En effet les Français étaient les alliés des Tupis-Inbas. Mais le Français refuse et dit aux "Indiens" de manger Hans Staden ! Parce que cela risquait de les fâcher contre lui et qu'il n'aurait plus pu faire ses petites affaires, acheter du poivre et du bois Brésil ! Hans Staden est désespéré. 

     Cependant, peu à peu, le soldat allemand est pris pour une espèce de sorcier. En effet, à plusieurs reprises, il annonce des faits qui se révèlent être vrai: il va cesser de pleuvoir, un tel va mourir, etc... Hand Staden remercie Dieu de faire tous ces miracles pour lui. Les Tuppis le respectent de plus en plus, pensant que son Dieu est puissant. Ils l'emmènent même à la guerre avec eux. Puis ils l'invitent à la fameuse cérémonie d'anthropophagie. Pour les Tuppis, il s'agit de se venger de leurs ennemis, c'est le seul motif qui les pousse à dévorer des humains (des hommes uniquement, selon le récit de H. Staden). 

Scènes d'anthropophagie après la cérémonie de l'exécution des prisonniers


     Hans Staden est obligé d'assister à l'horrible cérémonie. Il nous en révèle l'organisation minutieuse. Comment les hommes et les femmes se peignent le corps et le visage, quelles parures de plumes ils choisissent, comment le prisonnier est lui aussi peint... Il parle souvent de l'horrible massue qui va servir à assommer le pauvre prisonnier et en donne une description très précise. Le plus terrible est que Hans Staden connaît plusieurs de ceux qui se font tuer sous ses yeux et dévorer. Après la mort de l'ennemi - qui a le droit de dire avant d'avoir la tête explosée: "Les miens me vengeront, tueront certains des vôtres et les mangeront" - le corps est mis à cuire et les membres sont partagés. Tout le village participe au "festin", hommes, femmes et enfants. Le tout étant arrosé d'une boisson enivrante. 

    Hans Staden, bien que mieux considéré, n'en craint pas moins pour ses jours. Heureusement pour lui, un autre navire français arrive et cette fois les marchands qui sont à bord ont pitié de lui et organisent son rachat. 

    Le récit de Hans Staden a été publié la première fois en 1557 et a connu immédiatement un grand succès. Il a été rapidement traduit en plusieurs langues. L'iconographie a certainement eu son rôle pour expliquer cet engouement. 


Pour en savoir plus:











                                                  Palais du Potala, Tibet



Alexandra David-Néel: "Voyage d'une parisienne à Lhassa"

     Alexandra David-Néel (1868-1969) est un personnage extraordinaire. A l'âge de 43 ans, après avoir été, entre autres, cantatrice, elle entame une carrière d'exploratrice (il est vrai qu'à l'âge de 15 ans déjà, elle avait fait une fugue !); elle visite notamment le Sikkim (Nord de l'Inde), le Népal et aussi le Tibet. Elle rencontre le 13e dalaï-lama (alors en exil en Inde), devient bouddhiste et acquiert une profonde connaissance de la doctrine bouddhiste. Qu'une femme, occidentale, suive cette démarche, en époustoufle plus d'un. Elle apprend le tibétain et pratique les exercices des yogis. "Lampe de sagesse" (nom religieux qui lui est donné par son maître) est ainsi reçue avec déférence par toutes les autorités bouddhistes en Asie. Le jeune lama qu'elle a rencontré au Sikkim, Aphur Yongden, l'accompagne dans ses expéditions. Alexandra David-Néel l'adopte en 1929. Elle poursuit ses voyages jusqu'à un âge avancé et peu avant son décès, alors qu'elle a cent ans... demande le renouvellement de son passeport ! Visiter sa maison de Digne permet de mieux connaître l'exploratrice. 

          En 1924, en compagnie toujours d'Aphur Yongden, Alexandra David-Néel décide de se rendre à Lhassa, sans demander d'autorisation... A l'époque il est en fait interdit à tout Occidental d'entrer dans la capitale du Tibet. Qu'à cela ne tienne, Alexandra David-Néel et son compagnon se déguisent en mendiants et se mêlent aux pèlerins. Pendant huit mois ils vont marcher et connaître des aventures hors du commun. Partis du Yunnan (en Chine) avec juste une minuscule tente et de quoi se nourrir pendant deux à trois semaines -Alexandra David-Néel ne voulant pas avoir de contact tout de suite avec les indigènes avant d'avoir pénétrée assez avant dans le pays - provisions surtout constituées des incontournables beurre, tsampa et thé. Les deux voyageurs passèrent la frontière du pays interdit à 5412 mètres d'altitude, suivant de vagues indications sur le chemin à suivre. 
       
          Ces quelques lignes montrent la solide détermination de l'exploratrice :"Qu'avais-je osé rêver ? Dans quelle folle aventure étais-je sur le point de m'engager ? Je me rappelais celles qui l'avaient précédée, le souvenir me revenait de fatigues endurées, de dangers courus, d'heure où la mort m'avait frôlée. C'était cela encore et bien pire qui m'attendait... Et quelle en serait la fin ? Triompherais-je, arriverais-je à Lhassa, riant de ceux qui ferment le Thibet ? Serais-je arrêtée dans ma route, ou, vaincue pour jamais, finirais-je au fond d'un précipice, sous la balle d'un brigand ou bien emportée par une maladie au pied d'un arbre ou dans une caverne comme une bête des forêts ? Qui pouvait le savoir ? Mais je ne permis pas à ces pensées lugubres de me dominer. Quel que dût être l'avenir qui m'attendait, je ne reculerai point."

          Et en effet, la route ne sera pas pavée de roses, non seulement Alexandra David-Néel et Yongden doivent préserver leur incognito mais en plus faire face aux voleurs, au froid, à la faim... Ils s'égarent à plusieurs reprises, doivent traverser les rivières de façon acrobatique (attachés à un crochet!) mais, avec l'aide des habitants - qui sont persuadés d'avoir affaire à une tibétaine !- ils parviennent à poursuivre et à atteindre Lhassa. Après quatre mois d'épreuves, c'est la victoire, et les éléments les favorisent: en effet une formidable tempête de sable éclate le jour où les deux voyageurs entrent dans la ville interdite, ne permettant à personne de les distinguer et donc de les interroger sur leur provenance.



Alexandra David-Néel "Voyage d'une parisienne à Lhassa" Pocket









Rocheuses, photo James Wheeler.


Isabella Bird: Un périple dans les montagnes Rocheuses au XIXe siècle

  
    Pour ce premier article sur les récits de voyage, je voudrais évoquer l'étonnante Anglaise Isabella Bird (1831-1904). Etonnante, car tant qu'elle menait une petite vie tranquille dans son Angleterre natale, elle se portait mal, souffrant du dos, étant neurasthénique... mais dès qu'elle se met à faire le tour du monde, elle retrouve une énergie fantastique ! Et c'est parti pour des voyages en solitaire, qui la mènent en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Maroc, au Tibet, en Chine et aux Etats-Unis. Elle fut la première femme à entrer à la Royal Geographical Society de Londres. 
     
    C'est en 1873 qu'Isabella décide d'aller dans les Rocheuses, région encore très peu mise en valeur par les colons américains. Elle y passe quelques mois, de septembre à décembre et elle ne cesse, dans ses lettres adressées à sa soeur Henrietta de dire sa joie, son admiration, sa fascination pour ces magnifiques paysages, surtout pour la région d'Estes Park et pour le splendide pic de Long dont elle fera l'ascension. "Estes Park !!! je voudrais pouvoir vous envoyer ces trois points d'exclamation à la place d'une lettre. Ils expriment tout ce qui peut transporter d'enthousiasme et ravir: grandeur, allégresse, puissance, nouveauté, liberté, etc. je suis tombée juste sur l'endroit que je cherchais, et il dépasse tout ce que j'avais rêvé."

   Isabella montre un courage hors du commun (rapidement dans les Rocheuses, tous le savent: "c'est la dame anglaise qui voyage seule") chevauchant des jours entiers à travers des paysages déserts, croisant parfois des ours, supportant des froids terribles, neige et tempête ne la décourageant jamais, notamment lorsqu'elle monte sa petite jument bronco (encore sauvage) "Birdie" (curieusement le poney a presque le même nom que sa cavalière...) et se contentant souvent de soupes bien peu ragoûtantes pleines de mouches ! Isabella nous décrit à maints reprises ses chères montagnes, se plaisant à multiplier les adjectifs de couleurs, les pics deviennent pourpres au coucher du soleil, les flancs couverts de pins, bleu foncé, les rochers offrent des nuances de carmin, de violet, d'orange... Un peintre aurait eu plaisir à l'accompagner. Isabella voyage le plus simplement du monde, toujours vêtu de son sempiternel "costume hawaïen" -on se demande d'ailleurs comment elle ne gèle pas avec un vêtement si léger, car elle parle de températures de -17°C et même -29°C ("on ne voit plus le mercure" dit-elle un jour) mais elle assure que l'air est sec et pur et qu'elle supporte très bien ce froid-  elle a très peu d'affaires avec elle, tout tient dans un petit paquet mis derrière la selle et n'a pas beaucoup d'argent. Elle se trouve même à un moment sans un cent et elle est forcée, pour cela, de rester plusieurs semaines dans une cabane (où il neige à l'intérieur !) avec deux jeunes gens - qui se conduisent comme des gentlemen- sans autres "distractions" que de s'occuper du bétail -elle adore faire le travail des cowboys- et de se charger d'une partie des activités domestiques : faire le pain, la lessive, raccommoder son pauvre linge... Mais comme la cabane a vu sur le pic de Long ! Elle dit qu'elle a passé là des semaines fantastiques, bien que la nourriture manquât de faire défaut à la fin. 

    Isabella nous parle bien sûr des personnes qu'elle rencontre, ce sont surtout des hommes et à l'entendre, tous se conduisent très bien envers les femmes. Une femme qui voyage seule comme elle n'a donc rien à craindre de ce côté-là. Même le fameux desperado "Mountain Jim" (dont elle est à l'évidence amoureuse) se comporte en gentleman. On ne sait pas quels ont été tous ses méfaits, il a commis plusieurs meurtres sans doute. Au reste poète à ses heures, le plus souvent aimable et charmant (sauf quand il a ses "mauvais accès", après avoir ingurgité des quantités déraisonnables de whisky) et très beau ou plutôt il a encore une moitié de son visage qui est très belle, car il a été blessé, défiguré et a perdu un oeil. C'est lui qui lui sert de guide dans l'ascension du pic de Long (4400 mètres). Ascension réalisée sans matériel adéquat bien entendu :"Mon mince costume de cheval, bon seulement pour les Tropiques, était traversé par l'air vif. [...] les bottes d'Evans [un ami] étaient si grandes que je n'avais pas de point d'appui.[...] Heureusement nous avons trouvé sous un rocher une paire de petits souliers de caoutchouc probablement oubliés par l'expédition d'exploration d'Hayden" !! Cahin-caha, la petite troupe (en plus de "Mountain Jim" et d'Isabella, il y a deux jeunes hommes) monte, gravit les rochers, traversent les précipices. Très modeste, Isabella nous dit que pour des personnes habituées à la montagne, ce n'est pas un exploit, cela lui a été difficile car elle n'était pas entraînée ni équipée. 

   On a parfois du mal à croire tout ce que nous raconte Isabella tant ses aventures dépassent la fiction de roman. Surtout quand elle tombe dans l'eau froide des lacs ou des rivières, la glace s'étant rompue sous le poids de son cheval et qu'elle n'en continue pas moins ses courses folles, ses vêtements gelant sur elle... Mais cela n'empêche pas de se laisser emporter et de suivre la téméraire Anglaise dans cette éblouissante nature encore intacte le plus souvent.

   
Isabella L Bird "Une Anglaise au Far West" Petite bibliothèque Payot Voyageurs



 

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