Mon troisième roman, la suite des aventures de Victor, vient de paraître !





Victor Brennan, le héros de 

"DES COLTS ET DU BEETHOVEN"  

revient !





    Découvrez ci-dessous le premier chapitre de "Il joue toujours du Beethoven mais il n'a pas rangé ses colts". Vous pouvez obtenir le livre en format papier ou numérique, dans toutes les librairies (ou en suivant ce lien Amazon)
         Si vous désirez un exemplaire dédicacé, envoyez-moi un message à l'adresse Elsa Errack  elsa.errack@gmail.com (20€ frais de port compris en relais colis).

 Et si vous n'avez pas encore lu le premier tome, suivez le lien pour le découvrir: https://www.elsaerrackauteure.com/



PARTIE  I

EN ATTENDANT MIEUX

 

I

 

     Le train avait quitté Omaha depuis peu et filait droit sur Chicago. En cette matinée d’octobre 1877 le ciel était si bas que la cheminée de la locomotive à vapeur semblait devoir le fendre pour s’y ouvrir un passage. La fumée qui s’échappait d’elle se mêlait aux noires nuées. Un fantastique orage se préparait. La machine fonctionnait à plein régime. Elle donnait l’impression de vouloir s’éloigner au plus vite de la capitale du Nebraska, ne désirant pas s’attarder dans ces immenses plaines solitaires dont seule une maigre bourgade ou une exploitation isolée venaient rompre la monotonie. 

     Cela faisait déjà quatre jours que Victor[1] voyageait. Dans la matinée du premier octobre, il était monté dans le train du Pacific Railroad qui avait parcouru sans incident notable les mille cinq cents miles séparant San Francisco d’Omaha, passant par Salt Lake City et Denver. Ah Denver… Victor aurait bien voulu s’y attarder pour aller saluer ses amis, notamment Lily et Martin, ou déambuler dans les rues de cette belle ville qu’il aimait tant. Mais il n’en était pas question. Pas question non plus de descendre à Omaha, sa ville natale. Il n’avait pu y faire qu’une courte halte. A peine avait-il eu le temps d’avaler un café et un œuf au plat dans un saloon près de la gare qu’il avait dû sauter dans le train en partance pour Chicago. Radomir avait été catégorique sur ce point : il lui était formellement interdit de s’arrêter en cours de route. Il était attendu de pied ferme à Washington pour le mardi huit octobre. En cas de retard d’un train, dû à un accident ou à toute autre raison, Victor devait impérativement et sans délai le signaler par télégramme à Radomir. Et encore ! Cela serait ensuite vérifié à Washington. Pas de tromperie possible. Sous peine d’être remis en prison aussitôt.

     Toutefois, Radomir avait bien fait les choses. Pour adoucir les rigueurs de ce très long voyage - la traversée des Etats-Unis d’Ouest en Est, soit plus de deux mille huit cent miles - il lui avait réservé, pour chaque nuit passée à bord, une place de voiture-lit. Victor pouvait ainsi, le soir tombé, se retirer derrière les lourds rideaux de satin amarante et disposer d’une confortable couche. Néanmoins, malgré le calme qui régnait dans le wagon, Victor ne parvenait pas à dormir paisiblement. Car, si en cette journée d’automne l’orage allait éclater sous peu, cela faisait quatre jours que la tempête grondait sous son crâne. Depuis son départ précipité de San Francisco, il n’avait cessé de tourner et retourner le problème dans tous les sens. Sans en trouver la moindre issue…

     Le Service Secret. Agent du Service Secret des Etats-Unis. Ça consiste en quoi en fait ? Parce que Domir, il ne m’a pas vraiment expliqué la chose en détail. Aussi, nos retrouvailles ont été si courtes. A peine quelques heures. Que m’a-t-il dit ? Ah oui, que c’était assez nouveau, il a été créé il y a douze ans. Et puis ? Qu’il luttait contre la fausse monnaie, la contrebande et les fraudes foncières. Oh, comme ce doit être passionnant ! Pff, agent du Service Secret ! Je n’ai vraiment pas envie d’entrer là-dedans, moi ! Déjà que je suis parti de chez Pinkerton car je ne supportais pas leurs ordres ineptes. Alors là, m’occuper de fausse monnaie ! Aller courir au Mexique, comme Domir, ou dans quelque autre coin oublié de Dieu, risquer sa vie, pour pourchasser quelques malheureux faux-monnayeurs ! De la fausse-monnaie ! Qui s’en soucie ? Pff, quelques dollars de plus ou de moins, quelle importance ? Et tout ça pour quel salaire ? Domir ne me l’a pas dit. Ah, mais qu’est-il allé faire dans cette galère ? Quelle idée lui est passée par la tête d’aller se fourrer dans ce Service Secret ? Et de m’y embringuer par la même occasion ! Mmm, il m’a dit qu’il n’avait pu faire autrement. Soit il acceptait, soit c’était la corde. Aussi… il faut dire… Il n’a pas toujours été très raisonnable... Il avait tendance à sortir son arme pour un oui ou pour un non.

     Un formidable coup de tonnerre retentit. Certains passagers en sursautèrent. Victor tourna machinalement la tête vers la fenêtre. Une forte pluie battait la vitre et des éclairs striaient le ciel désormais noir comme de la suie. Mais il ne prêta guère attention à ces déchaînements de la nature, tant il était absorbé dans ses pensées. Il était à ce point préoccupé qu’il n’avait même pas remarqué que depuis Omaha une mignonne brunette tentait d’attirer son regard, apparemment séduite par ce beau jeune homme, si élégant et courtois - Victor avait aidé la maman de la jeune fille à mettre son panier dans le filet au-dessus de leur tête. L’obscurité avait envahie la voiture, un agent arrivait pour allumer les lampes disposées au plafond. La brunette prit alors une jolie boite en fer-blanc dans le sac qui était à ses pieds et l’ouvrit délicatement. Elle contenait des biscuits d’un beau rose qui dégageait une odeur bien appétissante. La jeune fille hésitait à en offrir un à son charmant voisin, intimidée par son air sombre et soucieux.

     Mais… C’est que moi non plus, je ne peux pas refuser d’entrer dans ce fichu Service Secret. Ah quelle guigne ! Radomir me l’a bien redit avant que je ne le quitte, ce James… James comment déjà ? West ? Non, c’est ridicule ça, James West, ce n’est pas ça. James… Oh, je ne sais plus. J’aurai bien le temps de vérifier cela, j’en ai encore pour trois jours avant d’atteindre Washington. Enfin, ce James est un chef influent du Service Secret et il n’est pas du genre à plaisanter. Il ne manquera pas de me faire rechercher à travers tout le pays pour me faire arrêter si je ne me présente pas à lui. Et qui dit arrêté… dit pendu ! Ah, vraiment, quelle guigne. Ce Domir… Il n’aurait pas pu agir autrement ? Il ne pouvait pas juste me tirer de prison, faire en sorte que je sois innocenté et on en restait là ! Il m’a assuré que cela ne lui avait pas été possible, qu’il n’avait pu obtenir ma libération qu’après avoir réussi à persuader - difficilement - ce fameux James que je ferai une excellente recrue pour le Service Secret. Mmm, est-ce que c’est bien sûr, ça ? Il n’a peut-être pas tout tenté ?

     Oh !! Heureusement Radomir n’entendait pas les pensées de son cher ami ! « Pas tout tenté » ! Radomir ? Lui qui, pendant plusieurs jours avait vécu dans l’angoisse de le voir mourir et qui avait œuvré d’arrache-pied pour le sauver !

     Non sans une inconséquence certaine, Victor estimait qu’il était désormais en droit de poursuivre sa vie à sa guise malgré les crimes qu’il avait commis. Comme il l’avait toujours fait. Après tout, quand il était tueur à gages, nul ne l’avait jamais empêché de mener l’existence qu’il souhaitait. Sauf lorsque Blake Hole lui avait envoyé ces trois mercenaires à ses trousses et qu’il avait bien failli y passer. Mais tout cela était terminé. Blake Hole reposait maintenant dans un cimetière de Boston, Victor l’ayant abattu un an plus tôt.

     Bon, bien sûr, Radomir, j’ai une entière confiance en lui. Je ne remets pas sa parole en doute. Jamais je ne me montrerai ingrat envers lui. Après la mort de papa, il a été tout pour moi. Je l’aime comme un frère, comme un père, Radomir. Je lui dois tellement. Je ne savais rien de la vie avant lui, il m’a initié à tellement de choses. C’est lui qui m’a appris à manier un Colt…

     Machinalement, Victor glissa sa main gauche sous son manteau, pour vérifier que les deux armes données par son vieil ami étaient toujours bien à leur place. Ils s’agissaient des deux mêmes Colts que Radomir lui avait offerts le jour de ses vingt-et-un ans. Ce grand diable de Tchèque avait réussi à les récupérer auprès du shérif de San Francisco.

     Et sans lui, que serais-je devenu, quand je suis parti comme un jeune fou à la recherche des meurtriers de mon père ? Je n’avais même pas dix-sept ans. C’est lui qui a guidé mes premiers pas dans l’Ouest. Et surtout, je lui serai éternellement reconnaissant de m’avoir sorti de cette effroyable situation. Car malgré ses belles paroles, je ne pense pas que l’avocat aurait pu m’éviter la peine de mort. Ah, tout cela à cause de ce crétin d’Albert ! Qu’est-il venu sur scène se faire trouer la peau ! En tout cas, à l’heure qu’il est, sans l’intervention salvatrice de Domir, mon corps, dépendu, reposerait six pieds sous terre. Et maman, Laura et Elmer pleureraient de concert sur ma tombe dans un cimetière de San Francisco. Oui, toute ma vie, j’éprouverai de la gratitude et de l’amour pour Domir… Et de l’admiration ! Quel violoniste ! Combien j’aimerais encore jouer avec lui notre sonate, « Le printemps », de Beethoven !

     Victor se tourna un peu sur son siège et vit enfin la jeune fille brune qui s’enhardit alors à lui tendre un de ses gâteaux. Il la remercia et le prit bien volontiers car l’œuf avalé en vitesse à Omaha n’avait guère calmé sa faim.

-          Je les ai faits moi-même, précisa la jeune femme d’une voix fluette.

     Victor, la bouche pleine, se contenta de hocher la tête et de la gratifier d’une espèce de sourire qui ressemblait plutôt à une grimace. C’est que le gâteau, malgré son doux parfum, était dur comme du bois. Il ne parvenait pas à le croquer et se demandait s’il n’allait pas se casser une dent dessus. Quand elle lui proposa d’en prendre un autre, il lui lança un regard reconnaissant et lui fit un petit signe de la main - étant toujours dans l’incapacité de parler - pour lui signifier qu’un seul suffirait. Puis, désirant couper court à ce qui pouvait être un début de conversation, il fit mine de se plonger dans le journal qu’il avait acheté à Omaha, afin de pouvoir s’adonner pleinement à ses réflexions.

     Il faut que je trouve autre chose pour m’en sortir… Et si je quittais les Etats-Unis ? Pour le Mexique ? Bah, le Mexique… ça ne me dit rien à moi ! Allais me perdre dans leurs fichus déserts, m’ennuyer dans leurs villages miteux ! Y a-t-il seulement des villes au Mexique ? D’ailleurs comment s’appelle leur capitale ? S’ils en ont une ! Ou alors… partir en Europe ? En Angleterre ? Ou en France. Après tout, je parle le français - même si maman me dit que je fais parfois des fautes. Je peux trouver un travail. Mmm… Donner des leçons de piano ? Ou m’exhiber en concert ? Ce n’est pas une perspective folichonne. Enfin, ça, comment gagner ma vie, je verrai plus tard. Je vais bientôt arriver sur la côte Est, là je ne suis pas recherché - enfin, pas pour l’instant - donc je suis libre de monter dans un navire pour la France. Je ne sais pas si les quelques dollars qui me restent suffiront à payer mon passage, mais tant pis, je proposerai de travailler à bord. Oui mais, quitter les Etats-Unis… Et Laura ? Et maman ? Oh, Laura, si elle m’aime autant qu’elle le dit, elle me suivra bien dans n’importe quel pays. Elle pourra être médecin en France. Elle aura juste à apprendre la langue. Et maman ? Cela lui fera peut-être plaisir de revenir dans son pays natal ? Pour ce qui est de ce gros fainéant de George Walter - quelle idée a-t-elle eu de l’épouser, cet homme sans caractère ? - elle en fait ce qu’elle veut, il la suivra jusqu’au bout du monde. Même s’il fera la tête. Il ne souhaite rien tant que de revenir à Omaha.

     Revenir à Omaha. Victor aussi aurait aimé retourner dans sa ville natale. Il repensa à son enfance. A son père. Quand il lui permettait de le retrouver à la banque en fin de journée. Lorsqu’il lui avait offert son premier cheval. Il sourit en repensant à la frayeur de sa mère. « Il est trop petit, il va tomber ! », ne cessait-elle de s’écrier. Le rêve de son père, élever des chevaux, brisé par sa mort prématurée… Et cette petite fille au si fort caractère, qui lui disait : « Plus tard tu seras juge comme papa et nous nous marierons »… Laura. Jamais il n’aurait pu imaginer à cette époque qu’elle deviendrait sienne. Il se revit arpentant les rues poussiéreuses de la ville. Entrer dans la belle maison de sa mère, qu’il retrouvait toujours avec plaisir après ses dangereuses expéditions. Même s’il leur arrivait de se disputer un peu. Et le vieux Tom ! Qui s’occupait si bien de ses montures. Puis vint le souvenir des folles journées passées avec Octavie à Denver. Les merveilleuses chevauchées à travers les grandes plaines sur son infatigable Terpsichore. Terpsichore ! S’il partait, il ne reverrait plus jamais sa magnifique jument tant aimée ! Il secoua la tête - la brunette, qui ne le quittait pas des yeux, pensa qu’il désapprouvait le contenu d’un article. Non, décidément, il n’avait pas envie de quitter son pays. De partir pour un ailleurs inconnu. Loin de ses amis. Loin des siens.

     Et puis Laura qui me suivra où que j’aille… C’est vite dit ! C’est que Laura, elle n’a pas un caractère facile. Il n’est pas sûr du tout qu’elle accepte de partir de San Francisco. C’est une vraie tête de mule par moments. Quant à maman… Elle ne viendra pas non plus en France. Elle me l’avait dit, après la mort de papa, que pour elle, la France, c’était fini. Elle ne voulait plus jamais y remettre les pieds. C’était une vie trop triste. La mort de sa mère. Une histoire d’amour avec son cousin qui s’était mal terminée. La pingrerie de son père. Elle m’a raconté qu’elle avait tout le temps froid car il refusait de mettre le chauffage avant la Toussaint…  Et puis, j’ai bien l’impression qu’elle ne veut plus retourner à Omaha. Juste avant cette sale affaire à cause de ce crétin d’Albert, elle s’était mise en tête d’acheter une maison non loin de celle de la sœur d’Elmer, dans ce beau quartier de Russian Hill. Et aussi d’ouvrir une nouvelle boutique de chapeaux sur Market Street.  

     Il leva les yeux de son journal. Cependant comme il vit la brunette aussitôt lui sourire, avec sa boite en fer-blanc à la main, il se replongea dans son journal. En d’autres temps, il se serait comporté bien différemment, mais dans le cas présent, il n’avait pas le cœur à jouer les séducteurs. Et puis il y avait Laura. Il en était tellement épris qu’il était sûr de lui être éternellement fidèle.

     L’orage se calmait. Le soir approchait. Les voyageurs les plus aisés n’allaient pas tarder à regagner leur couchette.

     Quand même ce Domir… Dans quel pétrin il ne m’a pas fichu, avec son satané Service Secret ! A cause de lui, me voilà obligé de traverser les Etats-Unis d’Ouest en Est ! Et qui plus est, à un train d’enfer. Tout ça pour me mettre sous la coupe de ce type, là, de ce James… James quelque chose, pour pourchasser trois ou quatre malheureux qui impriment de faux billets ! C’est bon que j’étais tellement surpris quand j’ai revu Radomir ! Mais j’aurais dû lui dire, que je ne voulais pas de son Service Secret. Et puis, pendant combien d’années je vais devoir y rester ? Il ne m’a pas dit ! Parce que, moi, je veux retrouver ma liberté un jour. Pff, quelle guigne ! En même temps, si je n’y vais pas, je trahis Domir. Et ça, trahir Domir, ça ne m’est pas possible. Même si… Il faut bien dire que… il n’était pas là, quand j’avais tous ces tueurs aux trousses, l’année dernière. Ce n’est pas sa faute, ouais, je sais, mais, bon… C’est juste pour dire… Bref, je vais faire ce qu’il me demande, mais, ça me coûte.


[Texte protégé par la SDGL, déposé sur la plateforme numérique Hugo]



[1] Voir « Des Colts et du Beethoven (Et il paraît que la musique adoucit les mœurs…)» d’Elsa Errack.










site Elsa Errack



Et merci à Wendy Wendev  pour son remarquable travail !
















UN PIANO SUR LE DOS est désormais disponible en ebook et en format papier sur 200 librairies en ligne et dans 5000 librairies physiques en France



Les lecteurs en parlent:

Avis de Clotide Moreira Da Silva sur Amazon

      J’ai été tout de suite attirée par la couverture de ce roman. Le parme romantique, les formes « moderne style » qui entourent cet homme appuyé sur son piano. Il semble concentré. Est-ce le début ou la fin de son récital ?
Cet homme, c’est Louis Moreau Gottschalk, compositeur et pianiste du XIXeme siècle. J’ai plongé avec délice dans cette vie d’artiste, voyageant aux quatre coins du monde, bravant les guerres, les épidémies et les tremblements de terre, toujours accompagné de Firmin, son serviteur et ami. Et puis, il y a les femmes, celles d’une nuit, celles qui l’attendent à la sortie et Ada qui hante sa vie.
La plume est fluide. L’auteur nous entraîne dans des récitals où l’artiste n’a qu’un seul objectif : toucher son public, quel que soit son milieu et sa classe sociale. D’ailleurs, je n’ai pu m’empêcher d’aller écouter les musiques de ce grand Monsieur…et comme pour cette biographie joliment écrite, je n’ai pas été déçue.


      Avis du comité de lecture de Librinova

100% des lecteurs recommandent votre livre

    Une biographie romancée d’un homme connu dans les milieux "autorisés " comme il est parfois dit, mais aussi une biographie très accessible de par l’écriture et les thèmes abordés. L’auteur nous raconte l’ histoire extraordinaire d’un musicien voyageur et de son homme de confiance, Firmin. Un tour du monde en un peu plus de 80 jours mais avec autant de découvertes et d’émerveillement. Tout est fouillé, précis ce qui nous donne envie de lire sans s’arrêter , emporté que l’on est par le récit et une écriture fluide. Des notes d’auteur en début et fin de livre avec des biographies, des liens d’œuvres sur YouTube, et une postface revenant sur le destin des personnages principaux et secondaires. Une lecture dense, érudite complète et très intéressante.




Résumé

     Dans cette biographie romancée de Louis Moreau Gottschalk vous allez découvrir le destin tumultueux de ce compositeur et pianiste américain du XIXe siècle. Né à La Nouvelle Orléans en 1829, il quitte son pays à l’âge de onze ans pour étudier le piano à Paris. Très vite, il y connaît la gloire. Ses compositions originales, inspirées aussi bien de mélodies créoles que de rythmes africains entendus dans sa Louisiane natale, surprennent et enchantent le public européen. Frédéric Chopin lui prédit qu’il sera le « roi des pianistes ». Après une tournée triomphale en Suisse et en Espagne, il revient en Amérique.

     Louis Moreau Gottschalk est un infatigable voyageur, poussé par sa curiosité et son goût de l’aventure. Toujours accompagné de son fidèle Firmin qui veille tout autant sur ses malles que sur sa vie, il parcourt inlassablement les Caraïbes, les Etats-Unis puis l’Amérique du Sud. Malgré une santé fragile, il enchaîne les tournées, donne concert sur concert et s’épuise dans l’organisation de formidables festivals qui attirent les foules. Ce virtuose nomade se produit indifféremment devant les publics éclairés des grandes villes que ceux des campagnes où l’on n’a jamais vu un piano. Guerres civiles, épidémies de choléra ou de fièvre jaune, tremblements de terre, accidents de train, révolutions… rien n’arrête Louis Moreau Gottschalk ! Il est prêt à surmonter tous les obstacles pour offrir un récital à ses auditeurs ! Reçu par les souverains, célébré comme le plus grand compositeur de son temps dans nombre de pays, ses admiratrices sont légion, se disputant un morceau de son gant ou une mèche de ses cheveux ! Mais lui qui rêve de poser un jour ses bagages et qui court après la fortune, que trouvera-t-il au bout du chemin ? La belle Ada, l’actrice rencontrée à New York, sera-t-elle celle avec qui il fondera ce foyer tant espéré ?

Lisez les premières pages ci-dessous.

Suivez les liens :







Préface

 

     Louis Moreau Gottschalk était à son époque un musicien mondialement célèbre. Aujourd’hui il n’est plus considéré comme un compositeur majeur et ses œuvres sont peu connues. Il a laissé environ trois cents compositions. Sa musique a été jouée jusqu’au début du XXe siècle, puis peu à peu est tombée dans l’oubli.

 

     Cependant Louis Moreau Gottschalk a eu une grande influence sur certains compositeurs. Il est notamment considéré comme le précurseur du ragtime[1]. Certaines de ses compositions caribéennes comme « Ojos Criollos[2] », « Pasquinade », « Souvenir de Porto Rico » et aussi « Le Banjo », annoncent les premiers accents de ce style pianistique très syncopé et rapide. Le ragtime mêle au folklore afro-américain des influences européennes. Il est une des sources du jazz. Scott Joplin, auteur de « Maple Leaf Rag[3] » (1899), l’une des plus célèbres compositions de ragtime pour piano, avait entendu les œuvres de L.M. Gottschalk et s’en est inspiré.

 

     Quelques œuvres de Louis Moreau Gottschalk à écouter.

·         « Le Banjo » fantaisie grotesque (1853).

https://www.youtube.com/watch?v=BUpfagdPZJk L’interprétation de Matt Herskowitz est époustouflante !

·         « Ojos criollos » danse cubaine (1859).  

https://www.youtube.com/watch?v=bnB2crhTtws par Eugène List, pianiste qui a enregistré de très nombreuses œuvres de L.M. Gottschalk.

·         « La nuit des Tropiques » symphonie (1858-59).

 https://www.youtube.com/watch?v=45bqK_MRHZM par Richard Rosenberg avec l’orchestre de Caracas, Venezuela.

·         « La Grande Tarentelle » (1868), pour piano et orchestre. Elle connut un grand succès longtemps après la mort de L.M. Gottschalk.

 https://www.youtube.com/watch?v=N7B9x-Tf45Y

 

     Sources et documents consultés :

-          Le journal de L.M. Gottschalk écrit en français, retranscrit dans le livre « Les voyages extraordinaires de L. Moreau Gottschalk, pianiste et aventurier » de S. Berthier. Editions Favre 1985. Tous les extraits du journal de L.M. Gottschalk cités dans ce roman proviennent de ce livre.

-          Certaines lettres du compositeur, à retrouver sur le site www.gottschalk.fr

-          « Louis Moreau Gottschalk » de S. Frederick Starr. University of Illinois Press, 2000.

-          « Le pianiste voyageur (la vie trépidante de Louis Moreau Gottschalk) » de Catherine Sauvat.  Payot, 2011.

-          Plusieurs sites, notamment : www.gottschalk.fr très complet, il propose des éléments biographiques, des photos et une présentation détaillée de toutes les œuvres du musicien.



Prélude

Chères Tropiques

 

 

« Hommage à notre défunt et éternellement regretté Louis Moreau Gottschalk. Le barde des Tropiques n’est plus ! »

     Je vais essayer d’éloigner les journaux de monsieur. Sinon, il va être désolé d’apprendre qu’il est mort à nouveau. Il va encore vouloir écrire tout un tas de lettres pour dire qu’il est bien vivant. La dernière fois on l’avait fait mourir d’une mauvaise fièvre, aujourd’hui, c’est d’une rupture d’anévrisme. Je vais me hâter de le retrouver, les médecins sont peut-être revenus auprès de lui pour lui faire subir leurs tortures. Si je ne les éloignais pas constamment, ils l’auraient sans doute déjà achevé. On les croirait tout droit sortis d’une pièce de Molière, avec leurs sangsues, leurs saignées et leurs bains bouillants. Il faut dire aussi que monsieur ne se ménage pas alors qu’il a une santé plutôt fragile. Pour préparer ce concert monstre au Tacón, il a tellement travaillé ! Il n’en dormait plus que deux ou trois heures par nuit. Ce n’est pas étonnant qu’il soit tombé gravement malade. 

-          Monsieur n’est pas raisonnable ! Sortir si vite du lit ! Alors que vous tenez à peine debout.

-          Mon bon Firmin, il faut bien que je m’y remette, ces concerts de la saison prochaine ne se prépareront pas tout seuls.

-          Monsieur ne peut-il pas en laisser le soin à son ami, M. Espadero ?

-          Nicolás joue à la perfection mais serait incapable d’organiser un tel évènement. Pourquoi essaies-tu de cacher ces journaux ? Ah, je vois, ils annoncent la funeste nouvelle… Donne-les-moi, de toute façon, tu sais bien que je vais en prendre connaissance. 

     Moreau[4] jeta un œil sur le premier.

-          Hum, en voilà une belle oraison funèbre, je la garderai ; tout comme l’illustration, elle est romantique à souhait. Je vais encore devoir rassurer tous mes admirateurs, d’Europe ou d’Amérique. Mais pour lors, je vais me remettre à mon opéra. Apporte-moi un café… et aussi quelque-chose à manger, j’ai à nouveau un peu faim. Heureusement, car je suis devenu si maigre que je me suis fait peur en me regardant dans le miroir ! J’ai cru voir un fantôme ou un zombi comme l’on dit par ici !

-          Que monsieur ne parle pas ainsi aussi légèrement, répliqua aussitôt Firmin en se signant trois fois.

-          Bien, bien, ne fais pas cette tête. Et tiens, fais-moi préparer un plantain frit.

-          Monsieur ne veut pas quelque-chose de plus léger plutôt, je sais que vous aimez beaucoup ce plat mais je crois qu’une petite soupe de pois boucoussou et une décoction de moringa seraient préférables. Je vous fais apporter ça tout de suite, monsieur.

-          Tu sais bien que je n’aime pas les pois bou...

     Firmin était déjà sorti de la pièce. Moreau se résigna. Son domestique lui était étonnamment dévoué et s’occupait de lui comme d’un bibelot chinois mais il n’en faisait souvent qu’à sa tête. Il ne regrettait pourtant pas de l’avoir engagé, car même s’il n’était pas dénué d’excentricités, il était doué d’un très solide sens pratique et faisait preuve d’une extraordinaire ingéniosité. Il l’avait rencontré à la Guadeloupe l’année précédente. C’était juste après qu’il ait quitté l’île de Saint Thomas pour échapper à l’épidémie de fièvre jaune qui y sévissait et un séjour étourdissant à la Martinique. Il y avait connu là un triomphe, lors de son concert donné en clôture de la fête organisée pour l’inauguration d’une statue de l’impératrice Joséphine à Fort-de-France. Cela faisait déjà quatre ans qu’il bourlinguait dans les Antilles, allant d’une île à l’autre au gré de ses envies, volant de succès en succès. Fêté, applaudi, célébré, chanté partout où il passait, réclamé par des publics enthousiastes qui l’appréciaient autant pour sa virtuosité de pianiste et ses compositions brillantes que pour ses qualités humaines. Il aimait tant ces îles qu’il pensait ne jamais les quitter. Tout lui plaisait aux Antilles, absolument tout. Les rues pleines de soleil, les vêtements colorés, la douceur des mœurs, les mélodies créoles, les jolies filles au regard langoureux, la cuisine, la nature sauvage et splendide, toute une ambiance qui lui rappelait sa Louisiane natale. Depuis ce printemps 1860, il s’était à nouveau installé à La Havane, ville qu’il connaissait bien et appréciait particulièrement. Il y avait retrouvé de nombreux amis et comme toujours, y avait été accueilli à bras ouverts par la population.

 

     Il se replongea dans l’écriture de l’acte I de son « Amalia Warden ». Il ne parvenait pas à le finir. Il buttait sur un dialogue entre la soprano, Amalia, et le roi de Suède, un ténor. Avec cette interruption aussi… cela fait… quatre, non, cinq semaines que j’ai été cloué au lit. Et puis maintenant que j’ai accepté de diriger la troupe du Tacón, je ne vais plus avoir une minute à moi. Bah, cette compagnie d’opéra… pas ce que j’aurais voulu… il faut dire aussi avec toutes ces sombres intrigues entre imprésarios. Il y a bien quelques solistes, les Français et les Italiens surtout, qui sont de bon niveau, mais les chœurs ! Je crois que jamais je n’arriverai à rien de bon avec de tels chœurs. Surtout ceux de femmes… qui sont laides avec ça ! Ce n’est pourtant pas difficile de trouver de belles femmes dans ce pays !  Firmin revint avec la soupe et l’infusion.  Une odeur poivrée emplit la pièce. Comme on venait de frapper à la porte, il alla ouvrir. C’était Nicolás Ruiz Espadero, un vieil ami de Moreau. Firmin hésita un peu avant de le faire entrer car malgré les injonctions de son maître, il pensait que cette visite allait le fatiguer.

-          Ce n’est peut-être pas bien raisonnable, monsieur, vous devriez plutôt vous reposer !

     Nicolás, petit homme discret, à la barbe et à la tenue très soignées, n’osait presque pas entrer. Tout à l’inverse de Moreau, c’était un casanier solitaire. Il posa son doux regard bienveillant sur son ami.

-          Je ne veux pas te déranger. Ta santé s’est-elle rétablie ? Il y a encore deux jours tu étais bien mal. Tu m’as à peine reconnu.

-          Eh ! Comme tu le vois ! Et me voilà à nouveau attelé à la tâche. Paludisme, dysenterie et cohortes de médecins n’ont pas encore eu raison de moi !

-          Tu devrais épargner tes forces. J’ai vraiment eu peur pour toi. Cette fois, j’ai bien cru…

-          Moi aussi, j’ai bien cru ma dernière heure arrivée. Mais grâce aux bons soins de Firmin, j’en ai réchappé.

     Le regard de Nicolás tomba sur la pile de journaux.

-          Oh ! Tu as lu… Tu es donc au courant…

     Moreau se mit à rire.

-          Ne t’inquiètes donc pas, ce n’est pas la première fois que les journaux m’enterrent.

-          Non, ce n’était pas pour cela. Mais… donc… tu n’as pas lu l’article ?

-          Que veux-tu dire ?

-          Eh bien, c’est, enfin… je ne sais pas si…

-          Parle donc, allons ! Inutile de tourner autour du pot !

 

     Moreau était effondré. Verdi venait de donner son « Bal masqué », qui avait justement pour thème celui de son « Amalia Warden ». S’il ne l’avait pas su à Rome, il aurait cru que Verdi s’était introduit chez lui afin de l’espionner. En fait ils s’étaient tous deux inspirés du livret d’Eugène Scribe. Tous ces efforts pour rien. Toutes ces heures perdues. Il tenta malgré tout de faire bonne figure devant Nicolás, promettant de créer une autre œuvre dès que possible. D’autant que le Tacón lui avait alloué un beau budget pour produire ses propres opéras. Il pensait toutefois que ce ne lui serait pas facile, jamais pour l’instant il n’avait réussi à dépasser le second acte d’aucun.

 

     Pourtant, il en avait composé des œuvres, depuis qu’il était dans ses chères Antilles. Même si la multitude de projets qu’il avait en tête ne s’étaient pas tous concrétisés, il avait énormément écrit, pour le piano seul surtout, des mazurkas, des polkas, des danses dont ses « Ojos Criollos » tant plébiscités, puis une symphonie, « La nuit des Tropiques », et cédant à la mode de l’époque, nombre de transcriptions d’airs célèbres telle sa « Grande Fantaisie triomphale ». Comme d’habitude il s’était inspiré d’airs locaux qui l’avaient charmé. Il les avait intégrés à ses compositions en les réinterprétant à sa façon. Depuis son enfance il avait toujours agi ainsi. Dès qu’il était impressionné par de nouvelles sonorités, il les mémorisait puis les reproduisait au piano. Que ce soit un air de « Robert le Diable » entendu à l’opéra où sa mère l’avait emmené alors qu’il avait trois ans, ou bien les tam-tam des esclaves qui dansaient au square Congo de La Nouvelle Orléans. Puis venaient des variations, des improvisations, auxquelles son imagination insufflait des idées neuves afin de créer une œuvre totalement originale. Depuis qu’il voyageait sa curiosité ne l’avait pas quitté. Dès qu’il arrivait dans un pays nouveau, il s’imprégnait de son paysage musical pour en retranscrire les couleurs. Tout l’inspirait. Les trilles d’un oiseau, la chanson d’un maçon, la berceuse fredonnée par une lavandière comme la ballade ou le nocturne d’un compositeur célèbre entendu dans un salon des plus chics. Nourri de toutes ces influences, naissaient sous ses doigts des compositions atypiques, dont les rythmes nouveaux surprenaient ses auditeurs.

     Par contre, pour pouvoir écrire un opéra en entier, il lui aurait fallu plus de temps et de calme.

 

     Il reprit sur un ton qu’il voulut enjoué :

-          Allez, oublions cela. Je vais te montrer le programme que je prévois pour la saison prochaine.

     Moreau commença à se lever, mais comme il sentit que la tête lui tournait, il demanda à Nicolás de s’emparer des papiers qui étaient sur la table de son bureau.

-          Voilà. Tu vas sans doute être surpris. J’ai décidé, comme je te l’avais dit d’ailleurs avant ma maladie, de présenter des œuvres plus… classiques. J’ai donc choisi « Le jeune Henri » d’Etienne Méhul, le « Freischütz » de Weber, et « Le Barbier de Séville » pour la veille de Noël. Oh, il va falloir beaucoup de travail, car chanteurs et orchestre ne sont pas prêts - surtout ces chœurs de femmes ! - mais j’ai bon espoir.

     Nicolás ne répondit rien. Cependant il paraissait songeur. Moreau devina qu’il avait des critiques à faire.

-          N’hésite pas à me dire ce que tu en penses. Tu sais que j’apprécie ton avis.

-          Eh bien… tu le sais comme moi… le public cubain…

-          Allons, ne te fais pas prier, parle franchement. D’ailleurs, je crois savoir ce que tu vas me dire.

-          Oui, je disais donc… toi qui connais si bien le public cubain… qui t’adore par ailleurs… lui proposer de telles œuvres… disons… difficiles, ardues… alors que tu sais bien qu’il préfère des morceaux plus accessibles, des mélanges, de préférence des airs aux accents locaux, plutôt que de longs opéras qu’il juge ennuyeux. Rappelle-toi… quand tu étais en tournée dans les îles avec cette toute jeune soprano, Adelina Patti[5]. Tu n’as pas hésité à te rendre dans les hameaux les plus reculés et pourtant tu as su t’attirer les vivats d’audiences les plus frustes en jouant des airs populaires que tous connaissaient ! 

-          Bien sûr ! Moreau sourit. On nous prenait même, Adelina, son père et moi, pour des acrobates ou des magiciens et l’on s’attendait à ce que l’on sorte des lapins blancs de notre chapeau ou que l’on virevolte sur un cheval. Or, il est temps désormais d’élever le goût de ce public. Surtout qu’ici il ne s’agit pas de pauvres paysans de villages perdus en pleine forêt tropicale mais de la bonne société cubaine. Et pour cela il est indispensable de lui proposer autre chose. Sinon, jamais il ne sera en mesure de goûter les sublimes beautés de ces œuvres !

-          Je pense toutefois que tu ferais mieux de t’adapter à ton audience, comme tu sais si bien le faire. Proposer plutôt tes propres œuvres, comme « Le Bananier », « La Savane » ou ton « Caprice espagnol » qui ont fait ton succès en Europe et sont connues et aimées aussi bien aux Etats-Unis qu’ici. Enfin, c’est mon point de vue. Tu fais comme tu l’entends.

     Soudain Moreau se sentit à nouveau mal. Un accès de fièvre l’avait repris. Il appela Firmin qui ne put s’empêcher de gronder son maître. Il se mit à le tutoyer comme il le faisait parfois.

-          Je te l’avais bien dit, c’était trop tôt pour reprendre tes activités. Tu devrais être au lit.

     Nicolás se leva tout de suite pour partir. Mais avant, il réitéra le conseil qu’il avait donné à son ami deux jours plus tôt.

-          Firmin a raison (celui-ci hochait la tête en fronçant les sourcils), tu devrais prendre un vrai repos. Tu devrais accepter la proposition de José Valdespino qui met à ta disposition la maison de son habitation sucrière. Au centre de l’île, le climat est plus sain. Tu seras bien là-bas, la sucrerie n’est pas encore terminée, José ne la mettra en route que dans quelques mois.

 

     Moreau finit par accepter l’invitation et dès le lendemain, il quittait le modeste appartement qu’il louait dans un des vieux quartiers animés de la ville pour gagner la Sierra de Anafe. Après avoir été secoué pendant sept heures sur de mauvais chemins dans une petite calèche (dont Firmin avait bien pris garde de relever la capote pour protéger son maître convalescent de l’ardeur du soleil), il eut le plaisir de découvrir une magnifique campagne entourée de forêt vierge. C’était un lieu d’une grande quiétude qui appelait au repos. La maison du maître était basse, elle n’avait qu’un étage et était bordée d’une large véranda. Tout près poussaient quelques palmiers et aussi quelques bégonias qui apportaient leurs touches colorées au paysage. Les trois premières semaines, Moreau se contenta de longues siestes sur un hamac, d’un peu de lecture et de fumer un cigare de temps à autre, n’ayant pour compagnie que son domestique et une vieille femme muette qui s’occupait de la cuisine (et préparait d’excellents plantains frits). Quand il se sentit mieux, il fit quelques promenades dans la forêt, de bonne heure le matin, avant que le soleil ne soit trop chaud, sur un petit cheval au pied suffisamment agile pour éviter lianes entremêlées et troncs moussus renversés. Il se remit à jouer, le soir, poussant le lourd piano sur la terrasse avec l’aide de Firmin.

 

     Rapidement une présence féminine lui manqua. La splendeur de la forêt vierge, le frais parfum des fougères, le plaisir de cheminer entre les cléomes et les acajoux, être émerveillé par le plumage multicolore des oiseaux, être saisi par les notes graves et profondes du campanero, profiter de ce dolce farniente... Tout cela est certes merveilleux, mais… le serait bien plus encore si Irène était là, avec moi. Il se demandait encore pourquoi la belle Irène de los Ríos l’avait quitté sans lui donner aucune explication, juste avant qu’il ne soit foudroyé par cette crise de paludisme. Etait-elle partie avec un autre ? Ou alors… Avait-elle appris… au sujet d’Ada ? Il ne le savait pas. Ah Irène, ses beaux yeux noirs, son corps souple comme une liane. Et sa peau. Ah, sa peau… 

-          Vous ne devriez pas fumer autant, monsieur. C’est votre deuxième cigare ce matin. Certains médecins, comme le Dr Paul Jolly, assurent que cela aurait un effet néfaste sur la santé.

     Moreau mi-agacé, mi-amusé, répondit :

-          Je croyais que tu ne lisais que des traités dentaires.

-          Oh, pour cela ! Je sais bien que vous ne voulez pas me croire. Pourtant vous verrez, quand un jour tu me retrouveras mort avec ma molaire qui aura envahi ma bouche.

     Moreau laissa son domestique lui expliquer pour la énième fois comment, alors qu’il était tout enfant et vivait encore avec sa mère sur une habitation caféière au Nord de Basse-Terre, un faiseur de sortilège l’avait envoûté. Depuis, il en était persuadé, une de ses dents ne cessait de pousser, de pousser, et elle en viendrait à l’étouffer. Il regarda attentivement Firmin. Il retourna une des feuilles de papier à musique qu’il tenait en main et entreprit de dessiner son portrait. Un bel homme, ce Firmin. Un grand gaillard, mince, musclé. Il me fait penser à un autoportrait de Dürer en Christ. Mais un Dürer à la peau métisse et aux cheveux et à la barbe noirs et frisés. S’il avait pu recevoir une éducation soignée, il aurait été la coqueluche des salons parisiens. Il aurait connu autant de succès que le chevalier de Saint-Georges en son temps. Quand on sait comment il a réussi à apprendre à lire et à écrire le français et également à jouer du piano et du violon, en cachette du maître de sa mère, une esclave qui ne parlait que le créole. On ne peut qu’être admiratif. Je trouve d’ailleurs qu’il se débrouille vraiment bien. Quel dommage. Un destin gâché. Il n’était pas mécontent de son dessin. Il le montra à Firmin, qui fit un peu la moue, puis le rangea dans ses papiers.

 

     Après deux mois passés dans ce petit paradis, Moreau revint à La Havane à la fin de l’été. Malgré l’avis de Nicolás, il s’entêta à proposer le programme qu’il avait prévu. Ce fut échec sur échec, notamment la veille de Noël avec ce  « Barbier de Séville » qu’il avait eu tant de mal à mettre sur pied. Au bout de vingt minutes, la plupart des spectateurs avaient quitté la salle, préférant aller finir la soirée au café du Louvre voisin. Moreau était furieux. Il avait eu beau se démener, musiciens et orchestre avaient rarement été sur le même tempo. Des critiques sévères lui firent savoir que, cette fois, il avait vraiment déçu les attentes de son public.

 

     Quelques jours plus tard, il était invité au Palais pour une somptueuse fête donnée par le capitaine général Serrano. Après avoir enchanté l’assistance avec ses « Ojos Criollos » et son « Caprice espagnol », il aperçut Nicolás dans un coin de la pièce, à demi-caché par une énorme plante. Dès qu’il parvint à s’extraire du petit groupe d’admirateurs qui s’était formé autour de lui, il le rejoignit. Il était très étonné de le voir là, lui qui détestait ce genre de mondanités. Nicolás lui avoua qu’il n’avait pas pu faire autrement. Il avait déjà refusé trois invitations, il eût été impoli d’en rejeter une quatrième. Moreau savait qu’il plairait à Nicolás d’échapper à la foule, il lui proposa de se rendre au jardin. La soirée était très douce, les fleurs de Mariposas exhalaient de délicates senteurs.

-          Je vais sans doute quitter bientôt mes chères Tropiques. Tu le sais, quand les affaires ne vont pas comme je l’entends, j’ai coutume d’aller tenter ma chance ailleurs. Je serais bien allé au Venezuela, mais avec cette guerre civile... Ou alors au Mexique. Mais là encore ce n’est pas le moment ! Le pays se bat contre les forces expéditionnaires espagnoles, britanniques et françaises. Sinon… je rentre en Europe. Reprendre ma place auprès de Berlioz[6] et de Liszt, comme le dit ma sœur. Plusieurs me pressent de revenir en France. Comme Pleyel, qui, parait-il, m’a surnommé le Chopin américain. Mais, il y a aussi, et même surtout, le problème de mes finances, car, comme tu le sais, il y a ma famille.

     Nicolás sourit.

-          Ce n’est guère étonnant ! Quand on te voit dépenser sans compter. Et puis, tu ne sais pas dire non ! Tu prêtes, tu donnes, à tous ceux qui te demandent. En tout cas, si tu t’en vas, ta présence me manquera, nous nous entendons si bien… sur certains points. Nous ne pourrons plus jouer à quatre mains tes « Ojos criollos ». Et puis… je n’oublierai jamais ce que je te dois.

     Moreau fit un geste de la main pour signifier que cela n’avait aucune importance.

-          Si, si, sans toi, mes œuvres n’auraient jamais été publiées à l’étranger. Mais, tu ne m’avais pas dit que…

-          Oui ?

-          Il me semblait que … tu m’as également parlé… d’une proposition intéressante… aux Etats-Unis.

-          En effet, Max, le frère cadet de Maurice Strakosch, m’a proposé une tournée. Hum, je ne sais pas si je dois accepter. Il est vrai que j’ai connu de grands succès dans ma patrie mais j’y ai aussi vécu de cuisants revers. Tu parlais du peu de goût du public cubain pour les œuvres classiques ! Dans certaines villes des Etats-Unis, cela est bien pire encore ! 

-          Tu pourrais aussi rester ici. Te fixer enfin. Laisser toute cette activité frénétique et te consacrer à la composition. Mener une vie simple, tout comme la mienne. Te marier. Tu as bien été fiancé à un moment, n’est-ce-pas ?

     Moreau secoua la tête.

-          Rien de sérieux. Non. Je ne crois pas que cela me convienne. Pas pour l’instant en tout cas. Et puis, pour faire oublier cette mauvaise saison au Tacón, ajouta Moreau avec une grimace, j’ai eu l’idée la nuit dernière de préparer un nouveau concert monstre. Celui que j’ai donné au printemps dernier a rencontré un tel succès ! Un succès monstre ! Tous les journaux l’ont plébiscité. Cependant, je le voudrais encore plus grandiose cette fois-ci.

     Nicolás avait l’air perplexe. Trop délicat pour faire remarquer à Moreau qu’il avait eu raison la dernière fois et que son ami aurait dû l’écouter, il se permit toutefois d’exprimer ses doutes.

-          Cela va à nouveau te demander un travail épuisant… Et puis... encore plus grandiose… je ne vois pas comment. La dernière fois, tu as dirigé plus de six cents musiciens !

-         Plus précisément six cent cinquante musiciens dont cinquante percussionnistes et quatre-vingts trompettes, en plus de quatre-vingt-sept choristes ! rectifia Moreau qui adorait citer des chiffres. Mais ce n’est rien à côté de celui que Berlioz dirigea en août 44 à Paris.

     Son regard devint soudain rêveur comme s’il assistait à nouveau au formidable spectacle.

-         Te rends-tu compte, mille vingt-deux musiciens ! Deux chefs d’orchestre, cinq maîtres de chant et Berlioz au sommet de tout cela ! C’était prodigieux !

 

     Nicolás le regardait, un peu inquiet de le voir si exalté.

-          Hum… Pour ma part, ce n’est pas le genre de spectacle que je préfère, mais… c’est mon point de vue.

Moreau se mit à rire.

-          Eh oui ! Je le sais bien, que tu ne goûtes guère ces éclatants festivals ! Tu aimes ce qui est plus discret. Quant à moi, je pense qu’un tel évènement me fera retrouver l’entière faveur du public.

 

     L’affaire devait durer cinq heures et demie. Quelques courageux seulement endurèrent l’entier supplice, la plupart ayant fui au bout d’une demi-heure. Le dernier concert monstre que Moreau donna à Cuba fut une monstruosité sonore. De l’orchestre démesuré qu’il dirigea, dont quarante pianistes réunis ou plutôt désunis, quatre-vingts trompettes et tambours - il était même allé embaucher pour l’occasion des musiciens de la flotte - résulta un tumulte discordant, un désordre bruyant et désagréable.

 

     Je n’ai pas osé le dire à monsieur, car je ne me permets pas de lui faire des reproches, mais ce concert monstre ! C’est que monsieur aime beaucoup ces grosses machines qui font du bruit. Il en a pris le goût à Paris, à cause de ce monsieur Berlioz. Il s’est encore une fois épuisé pour préparer tout cela, passant des heures à réviser des milliers de pages de copies de partition jusque tard dans la nuit. Je trouve que monsieur a beaucoup de qualités, mais, il lui arrive de faire de mauvais choix. De toute façon, comme le dit Voltaire : « Si l’homme était parfait, il serait Dieu ». Enfin, après cela, monsieur a hésité encore quelques mois, puis… il a pris sa décision.



[1] « Temps déchiqueté ».

[2] « Les yeux créoles ».

[3] « Chiffon de feuille d’érable ».

[4] Famille et entourage de  L.M. Gottschalk utilisaient ce seul prénom.

[5] Adelina Patti (1843-1919) cantatrice italienne, “la Patti” a été l’une des plus grandes divas de son temps.

[6] Hector Berlioz avait été tout particulièrement élogieux, il écrivit, dans « Le journal des Débats » en avril 1851: « M. Gottschalk est du très petit nombre de ceux qui possèdent tous les éléments divers de la puissance souveraine du pianiste […]. Il est musicien accompli. » Les deux hommes entretinrent une correspondance. 


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog